mardi 22 novembre 2016

Misié Pierrot n'est plus






Persil et oignon pays est en deuil.

Le 30 octobre papa est tombé. Angoisse, Samu, pompiers, hôpital, fracture du fémur, opération, soins.
 Le 8 novembre tout s'est éteint pour lui. Le 17 novembre il aurait eu 98 ans.
Il ne s'est pas remis debout et  n'est pas rentré chez lui.

Dès le premier entretien avec le médecin du service , alors que l'opération de réduction de la fracture du fémur avait parfaitement réussi, il m'avait annoncé que papa avait des  troubles  du rythme cardiaque qui pouvaient avoir un issue fatale compte tenu de son grand âge, de sa grande maigreur et de ses reins usés.

Papa était un père à l'ancienne, un peu absent, avec lequel je n'ai eu pas beaucoup d'échanges. Toutefois, il m'a  fait participer à sa façon à sa vie et à ses valeurs.
Je me souviens comment, durant mon enfance quand nous habitions à St Pierre, je l'accompagnais au marché le samedi matin. Je le suivais déambulant dans les allées entre les fruits et légumes exposés à même le sol sur des sacs de jute, à coté des poules ou des sacs de farine de manioc vendue par pot. Chaque achat faisait l'objet d'un marchandage serré entre la marchande et lui, et je l'aidais à porter les fruits et légumes ainsi achetés. J'avoue que malgré ces démonstrations en direct je n'ai pas hérité de ses capacités de négociateur commercial.

Ces mêmes marchandes parfois venaient au bazar qu'il tenait, faire quelques emplettes ou payer un petit crédit qu'il leur avait octroyé. Nous vivions dans un environnement rural dans lequel papa était Misié Pierrot .
Durant cette période de mon enfance, je l'accompagnais également chez les moines bénédictins, encore à St Pierre à cette époque, avec lesquels il avait noué des liens d'amitié, et où je m'ennuyais ferme . La seule chose que j'appréciais et qui rompait cet ennui était de les entendre chanter, j'aimais le plain-chant et la sérénité que cela dégageait.

De ce père qui n'a jamais porté la main sur moi et qui ne m'a jamais vraiment puni, et qui à sa façon était attentionné,  je me suis pourtant éloigné à l'adolescence.
 Nous avions de moins en moins de choses en commun. Lui le croyant fervent avait un fils incroyant. Nous ne partagions pas non plus les mêmes idées politiques. Il adorait le foot et avait été sélectionné dans sa jeunesse dans l'équipe de la Guadeloupe, alors que cela ne m'intéressait guère.  J'adorais la mer, la plongée, la pêche, le contact avec les marins pêcheurs, alors que les rares fois où il nous accompagnait à la plage, je n'ai pas le souvenir de l'avoir vu piquer une tête ou nager.
 Maintenant qu'il n'est plus je ne saurais pas s'il savait nager ou pas.

L'adolescence a été la période où nous avons habité à Fort de France. Quelques années après ce déménagement pour la capitale, papa abandonna le bazar de St Pierre et devint commercial chez un grand distributeur d'électroménager et de hi-fi de la place. Cette période foyalaise ne nous rapprocha pas mais il était toujours mon père et moi son fils respectueux et critique.
Il n'avait jamais voulu que j'ai un vélomoteur, mais il m'avait ouvert un compte à la Centrale Catholique, librairie à la rue Blénac où sans contrainte je pouvais acheter les revues et les livres qui me plaisaient. Il a ainsi grandement contribué à affermir mon goût pour les livres et ma curiosité intellectuelle.
Dans cet environnement citadin, Misié Pierrot était devenu Mr GITANY.

 Après mon bac,  parti faire mes études en France,  les choses ne se sont guère améliorées. Dès ma deuxième année de fac je me mariai et eu un fils. Mariage d'étudiants insouciants sans le sou, et vie difficile à huit mille kilomètres de la famille.

Ce n'est que bien plus tard quand mes propres enfants partirent faire leurs études que j'ai pu mesurer, l'ampleur des angoisses et des inquiétudes que j'avais causées.

Quand je revins définitivement en Martinique, je continuais à causer des insatisfactions à papa mais jamais il ne me fit de reproches ouverts.
Nous menions cependant une vie de famille ponctuée de nombreuses fêtes qui rassemblaient tout le monde.

La vie continua avec ses hauts et ses bas, ses joies et ses insatisfactions, jusqu'à ce que papa devienne vieux, très vieux et fragile.

Dans son  grand âge nous nous sommes un peu retrouvés, bien sûr sans grandes effusions, dans la grande tradition de notre famille. Il m'arrivait de m'asseoir à ses côtés et de poser ma main sur la sienne, sentir cette main noueuse, osseuse  qui avait la peau fine et douce des vieillards. Cela nous suffisait pour exprimer l'affection que nous nous portions. Dans le même temps je me disais que je n'avais pas de souvenir qu'il m'ait donné de telles marques d'affection dans mon enfance, et je pensais que les rôles avaient changé.

Au cours de ces dernières années nous avions nos petites routines. Tous les jeudis nous allions faire les courses du ménage.  Il m'attendait toujours avec impatience, c'était sa grande sortie, nous allions toujours au même supermarché ,"Carrefour Cora" comme il disait, où nous avions nos repères et nos habitudes. Cela me rassurait, car déambuler avec un homme de quatre-vingt dix ans  à moitié aveugle nécessitait une grande attention.
A cette occasion ce qui lui plaisait le plus était de rencontrer des gens qui le reconnaissaient, qui lui manifestaient le contentement de le voir et qui le félicitaient de son grand âge et de sa forme.

De retour des courses nous déjeunions ensemble . En attendant de passer à table, souvent je lui coupais les ongles, les limais, en fait j'étais devenu sa manucure exclusive.

Ces rencontres régulières me permettaient de voir son état de forme. Jusqu'à quatre-vingt dix ans il grimpait les trois étages qui menaient à son appartement  d'une traite avalant les marches deux à deux. Peu après il les grimpait une à une et ces derniers mois je lui demandais de faire une pose à chaque palier. Souvent je me disais qu'il était temps que j'aille faire les courses seul. Mais cela me chagrinait de le voir dans l'attente de notre départ tel un enfant impatient, alors je prenais le risque de l'emmener craignant à tout moment qu'il ne fasse un malaise. Avant notre départ  je m'assurais qu'il boive et qu'il prenne sa réserve de sucre en croquant deux carrés de chocolat, sa friandise quotidienne, en plus des dragées dont il raffolait.

Dans tous mes billets précédents quand j'évoquais mes souvenirs je ne vous avais pas encore parlé de papa. Voila c'est fait. Voici l'homme simple, pétri de certitudes qui n'étaient pas les miennes  mais qui savait être tolérant et qui ne disait jamais du mal des autres et que j'aimais .

Ses derniers jours  à l'hôpital lui furent pénibles , il avait toute sa lucidité et même des pointes d'humour, trouvant parfois  la force de rire de ses misères.
 La veille de sa mort, on lui fit une ponction des poumons afin de le libérer du liquide qui l'encombrait. Je le trouvai en meilleure forme il respirait mieux, mais le moral n'était plus au rendez-vous. Il me dit clairement qu'il en avait marre. J'essayai de lui donner à manger, pour me faire plaisir il avala quatre cuillerées de soupe protéinée et deux cuillerées de crème sucrée , il accepta un dernier carré de chocolat.
 Le soir ma soeur Josiane n'eut pas plus de succès. Depuis la veille j'avais le sentiment qu'il s'en remettait à son Dieu qu'il priait tous les jours.
Le lendemain la gériatre du service qui l'avait suivi avec dévouement m'annonça à midi trente, peu avant l'heure des visites que son coeur avait lâché.

Je regrette de ne pas lui avoir dit que je l'aimais avant qu'il s'en aille.


7 commentaires:

  1. C'est un très beau témoignage et hommage que tu rends à Papou. Je le revois monter l'escalier et siffler les mains dans les poches...

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  2. Ouailles c'est beau mais ça tire des larmes...
    Je me souviens d'un grand monsieur au type indien avec une moustache.
    Enfant impressionné, il est resté pour moi, le papi de ma soeur de coeur.
    Le fils qui le décrit n'a pas démérité à mon égard et à bien d'autres, je n'en doute pas.
    L'amour d'un fils pour son père se perçoit mieux parfois, plutôt que quand il se dit.
    Toutes mes condoléances...

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  3. Bonjour Jean-Pierre, merci de partager avec nous ton portrait intime et émouvant de ton père quelques jours seulement après son départ. Toutes mes condoléances à toute la famille. Affectueusement. Franck Srr

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  4. Très bel hommage à papa. Je me souviens du jour de ton départ aux études , c'est la seule fois où je l'ai surpris à pleurer.

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  5. Seule derrière mon écran en lisant ce bel hommage à votre père, les larmes n'arrêtaient pas de couler le long de mon visage, les essuyant rapidement pour que les collègues ne pensent à me poser des questions. J'ai lu dans cet hommage tout l'amour et le respect d'un fils à son père tout comme j'ai ressenti une certaine culpabilité et des regrets de n'avoir pas fait assez. Merci.

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